AVIS SUR LE RECOURS À LA FIDUCIE DANS L’ÉLABORATION DE SUKUK IJARA ‘AYN

AVIS SUR LE RECOURS À LA FIDUCIE DANS L’ÉLABORATION DE SUKUK IJARA ‘AYN

Nous avons été sollicités concernant le caractère sharia compatible d’un montage visant à l’émission de sukûk de location d’actifs tangibles (sukuk ijara ‘ayn) en ayant recours à une mise en fiducie desdits actifs.

  • L’article 2011 du Code Civil, traitant de la définition de la fiducie, dispose : « La fiducie est l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires. »

  • Le droit positif français, contrairement au droit anglo-saxon, n’opère aucune distinction entre la propriété légale et la propriété économique. La propriété, au regard de la législation française, est pleine et entière. En effet, l’article 544 du Code Civil dispose : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »

Pour ce qui est à présent de la qualification juridique qui pourrait être donnée, en droit musulman, à l’opération fiduciaire et à la possibilité d’émettre des sukûk en ayant recours à ce contrat, nous avons été confrontés aux problèmes suivants :

  • La fiducie entraîne nécessairement un transfert de la propriété légale des actifs au fiduciaire pour une période n’excédant pas 99 ans. Ce transfert total de propriété s’oppose , selon nous, à la possibilité de faire de la fiducie un véhicule financier approprié en vue d’émettre des sukûk d’investissement, étant donné que, selon le droit musulman, ce sont les  porteur de sukuk (en l’occurrence, ici, les bénéficiaires de la fiducie) qui doivent être propriétaires de l’actif et ils doivent être en mesure de faire valoir juridiquement leur droit de propriété .

  • Par ailleurs, (dans le montage que nous avons étudié,) les investisseurs sont considérés comme étant de simples créanciers envers l’entité qui émet les sukuk : dans ces conditions, la rémunération qui leur est versée constitue une forme de ribâ (intérêt) illicite (en Islam).

De ce qui précède, il résulte que :

La fiducie, dans sa forme actuelle, ne répond pas aux conditions requises pour l’émission de sukûk. Il faudrait, nous semble-t-il, pour que cela soit possible :

  • soit envisager un aménagement législatif qui permettrait de déroger au transfert de propriété exclusif de la propriété des actifs au fiduciaire et permettrait notamment l’établissement d’une relation (contractuelle) entre les porteurs des sukûk et le fiduciaire conformément au contrat de mandat rémunéré (wakâla bi ajr) ;

  • soit accepter la divisibilité de la propriété, à l’image du droit anglo-saxon ;

  • soit accepter que la propriété transférée au fiduciaire soit purement formelle (c’est à dire qu’elle soit dépouillée des caractéristiques de la milkiyah (propriété), telle qu’elle est perçue dans le droit musulman);

Dans tout les cas, les investisseurs ne doivent pas être de simples créanciers à l’égard de la structure qui émet les sukuk.

Remarque : Dans le cas où il y aurait un refus d’ajustement juridique qu’implique une des propositions susmentionnées, il serait alors possible d’utiliser la fiducie en orientant les recherches vers certaines catégories de bien de mainmorte non charitable (al-waqf ghayr al-khayrî).

Dieu sait mieux que quiconque

Écrit par Zakaria Seddiki

Président d’ACERFI le 02/06/2009

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