INTERVENTION DE C. MOHAMMAD PATEL LORS DE LA CONFÉRENCE EUROMONEY

Nous vous proposons dans les lignes suivantes les principaux points abordés par C. Mohammad Patel lors de son intervention au sein de la table ronde organisée sur le thème :

Une évaluation pratique de la législation française des sukuks : les changements ont-ils vraiment fonctionné ?


 

Au Nom d’Allah, le Très Clément, le Tout Miséricordieux

Le terme arabe sukuk signifie littéralement « titres » ou « certificats ». Dans le droit musulman, les sukuk sont des titres d’investissement collectifs qui atteste que, au terme de la période de souscription, leur porteur est propriétaire d’une part :

  • – dans la propriété d’un bien (ou d’un ensemble de biens) identifié(s)
  • – dans la jouissance d’un bien (ou d’un ensemble de biens) identifié(s)
  • – ou plus largement dans un projet d’investissement sharia compatible.

Le porteur de sukuk bénéficie ainsi des avantages découlant de cette propriété : il a droit à une part des revenus qui est généré par l’actif qui sert de sous jacent à l’opération. Mais, en même temps, en tant que propriétaire, il doit également supporter les risques inhérents à la vie de l’actif (risque de propriété, de l’usage, de liquidité, de marché, etc) : ce qui implique notamment que, en cas de mauvaise performance économique de celui-ci, il en subit les conséquences. C’est là d’ailleurs une des différences fondamentales entre les sukuk et les obligations : le paiement du coupon et le remboursement de l’investissement est garanti contractuellement à l’investisseur, et ce, quelque soit la performance de l’actif/du projet lié à l’émission obligataire.

Il existe plus d’une dizaine (quatorze types sont énumérés par l’AAOIFI) de types de sukuk différents, et ce, en fonction du contrat établi sur l’actif qui sert de sous jacent à l’opération. Les plus connus sont les suivants :

  • – sukuk salam, où les sommes récoltées des porteurs de sukuk servent à régler au comptant un bien devant être livré à terme suivant des conditions biens définies. Après livraison, ledit bien est généralement revendu et le bénéfice réalisé alors constitue la rémunération des investisseurs.
  • – sukuk istisnâ’, où les sommes récoltées des porteurs de sukuk servent à régler un bien qui va être produit/construit suivant des caractéristiques biens définies. Ici également, le bien est généralement revendu après livraison et le bénéfice réalisé alors constitue la rémunération des investisseurs.
  • (Ces deux premiers types de sukuk peuvent être utilisés dans le cadre de financement d’infrastructures coûteux faisant l’objet d’un partenariat public-privé. Mais ils ne sont pas négociables et ne peuvent donc être vendus sur les marchés secondaires.)
  • – sukuk mourabaha, où les sommes récoltées des porteurs de sukuk servent à régler un bien qui est ensuite revendu avec une marge bénéficiaire déterminée, ce bénéfice constituant encore une fois la rémunération des investisseurs.
  • – sukuk idjara -les sukuk les plus populaires et les plus répandus dans le monde aujourd’hui- où les sommes récoltées des porteurs de sukuk servent à faire l’acquisition, pour le compte de ces derniers, d’actifs définis (de nature immobilière ou mobilière)pour les mettre en location (s’ils ne le sont pas déjà). Comme indiqué précédemment, cette propriété leur donne droit à une part du loyer perçu, mais les rend également responsables des éventuels dépenses engagés pour le maintien de l’actif en état d’être loué. De même, les investisseurs sont soumis au risque de pertes liés à une mauvaise ou une absence de performance des actifs : c’est le cas par exemple dans une opération immobilière où il y a aurait des locaux non loués. Puis, à terme, les actifs sous jacents sont vendus et le montant obtenu alors est reversé aux investisseurs. C’est à ce type de sukuk que se réfère l’instruction fiscale FE 04/09 publiée en Février 2009.

Dans la pratique, bien évidemment, le montage d’une opération de sukuk est un exercice qui se révèle relativement complexe. Il faut ainsi trouver les véhicules juridiques appropriés et les contrats adéquats qui permettent de répondre simultanément à une double exigence:

  • – il s’agit, d’un côté, de trouver le moyen pour rendre l’opération financièrement attractive. Ce qui, dans la pratique et avec des actifs de nature immobilière notamment, n’est pas une mince affaire : il faut par exemple éviter les surcoûts liés aux multiples transferts de propriété –en sachant que le trust, autour duquel sont régulièrement élaborés les montages de sukuk en droit anglo saxon, n’a pas de réel équivalent dans le droit français, ou encore trouver le mécanisme qui permettrait d’avoir un traitement fiscal optimisé de la rémunération versée aux investisseurs.
  • – et, d’un autre côté, bien évidemment, il faut que l’ensemble des impératifs de conformité au niveau du droit musulman soient respectés.
  • o Ainsi, il faut par exemple que le droit exercé par les porteurs de sukuk sur l’actif sous jacent répond scrupuleusement aux conditions de la propriété telle que celle-ci est perçue dans le droit musulman;
  • o Autre exemple : Il faut que les relations contractuelles entre les porteurs du sukuk et le gestionnaire de projet ne comprennent pas de clauses problématiques : on peut utilement rappeler que, dans une opération de sukuk idjara portant sur un actif immobilier, un gestionnaire agissant en tant que wakîl ou moudhârib pour les investisseurs ne peut prendre l’engagement de racheter, au terme de l’opération, le bien concerné à son prix initial. Cela constitue en effet un moyen détourné pour garantir aux porteurs de sukuk le capital qu’ils ont investi : ce qui, dans une opération de nature participative, n’est pas autorisé dans le droit musulman.
  • o Dernier exemple : Il faut que les contrats conclus sur les actifs sous jacents soient, eux aussi, sharia compatible : ainsi, dans un sukuk idjara, le contrat de location devra respecter les règles du droit musulman qui règlementent l’usage de l’actif, les responsabilités du locataire etc.

En tous les cas, toute opération de lancement de sukuk doit, au préalable, faire l’objet d’un examen approfondi de la part d’un Sharia Board, qui prononcera alors un avis de conformité sous la forme d’une Fatwa.

Pour conclure, rappelons que, au cours des derniers mois, ACERFI a participé activement aux discussions et échanges visant à permettre l’émission de sukuk sur la place financière de Paris. Cette expérience nous a permis de prendre conscience d’une chose : sur ce genre de problématiques techniques, des échanges sont nécessaires le plus tôt possible entre spécialistes du droit musulman et du droit français afin d’être sûr que les différences subtiles existant entre ces deux systèmes (où les mêmes mots ne désignent pas forcément les mêmes réalités juridiques)soient bien cernés et que, face aux éventuels points de blocage, les solutions véritablement appropriées puissent être trouvées.

Enfin, il ne faut pas oublier que les sukuk idjara ne constituent qu’un type parmi tant d’autres : à chaque type de projet son sukuk approprié. Augmenter le nombre de sukuk pouvant potentiellement être lancé, c’est ouvrir à chaque fois un peu plus grand la porte aux investisseurs potentiels.


Et Dieu est Plus Savant ! 

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