L’univers des produits de placement islamique connaît une extension significative depuis le début des années 2000.
L’importance de la manne pétrolière[1] ainsi que la volonté croissante d’une jeune aristocratie musulmane soucieuse de vivre en harmonie avec les préceptes coraniques ont dopé les initiatives dans le domaine de la structuration de produits d’épargne Shariah compliant[2].A la fin décembre 2008, la société Failaka recensait, dans la seule région du Golfe, la possibilité d’investir dans un panel de près 365 fonds Shariah compliant.
Comment sont structurés ces fonds « Shariah compliant » et quelles sont leurs spécificités ?
Au même titre que les fonds de placement classiques, les fonds Shari’a sont des fonds structurés en accord avec la réglementation du pays dans lequel ils sont domiciliés : les fonds Shari’a crées en France seront structurés en conformité avec la réglementation édictée par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), ceux créés au Luxembourg seront établis conformément aux règles édictées par la Commission de Surveillance du Secteur Financier (CSSF), etc.
Il n’existe donc aucun point de divergence quant à la correcte application des règlementations locales par les émetteurs de fonds quelle qu’en soit la couleur ou la spécificité.
Les réelles dissemblances entre un fonds de placement conventionnel et un fonds de placement Shari’a peuvent être déclinées en deux grandes étapes :
A la création du fonds
Les institutions (islamiques ou conventionnelles) qui émettent des produits Shari’a sur un marché requerront les services d’un Shari’a Board. Ce comité de contrôle de la conformité sera chargé d’étudier et de valider la conformité du produit à la Shari’a. Dans le cas d’un fonds de placement actions Shari’a compliant, l’institution soumettra au Shari’a Board, l’ensemble des éléments qui permettront à ce dernier de prononcer une «fatwa» validant le montage :
– Les conditions contractuelles qui lient le fonds à ses futurs investisseurs devront être conformes aux principes de la finance islamique (absence de garantie du capital, partage des pertes et profits, etc.)
– Les modalités de tenue de compte et de gestion du fonds ne devront, en aucun cas, faire appel à des processus interdits (rémunération du compte cash du fonds, mise en place d’instruments de couverture prohibés, etc.)
– Concernant la construction du portefeuille, l’ensemble des actions sélectionnées devra être conforme à l’éthique islamique. Rappelons que cette dernière interdit l’investissement dans un certain nombre de secteurs (alcool, tabac, jeux de hasard, armement, services financiers, pornographie, etc.). Les actions des sociétés intervenant dans ces secteurs ne seront donc pas éligibles. En marge de ce premier filtre « sectoriel » majeur, les juristes musulmans en ont définis d’autres visant à exclure les sociétés fortement endettées, disposant d’une trésorerie importante et non investie ainsi que toutes celles ayant une part significative de leurs revenus issus de produits financiers prohibés (revenus issus des produits dérivés, d’instruments de taux, etc.).
Une fois l’ensemble de ces critères respectés, la banque ou la société de gestion seront à même de proposer ce produit à leur clientèle, fort de la validation de ce dernier par un Shari’a Board ; de façon régulière, le nom du Shari’a Board ainsi que la liste des membres le composant sont généralement inclus dans le prospectus du fonds communiqué aux investisseurs.
En France, l’AMF a approuvé, par une note datant du 17 juillet 2007, le recours à des critères extra financiers de sélection de titres dans le cadre des OPCVM se déclarant conformes à la Shari’a. Ainsi, l’ensemble des OPCVM qui souhaiterait adopter, en sus des règles édictées par le législateur local, des critères extra-normatifs est désormais habilité à le faire.
Par le biais des aménagements édictés par l’AMF, on pourra entrevoir l’importance du rôle désormais reconnu au Shari’a Board dans le processus d’élaboration des fonds Shari’a.
Pendant la vie du fonds
Le rôle du Shariah Board est également déterminant pendant la vie du fonds. En effet, les sociétés de gestion ainsi que les banques émettrices de fonds Shariah doivent se soumettre à une série de mesures tout au long de la vie du fonds :
– Un audit périodique du fonds : les juristes des divers Shari’a Board ne dérogent pas à la nécessité d’un audit périodique des fonds pour lesquels leur validation à été requise. Ces audits sont généralement réalisés par des cabinets de conseils spécialisés en finance islamique et travaillant en étroite collaboration avec les Shari’a Board les plus reconnus. Cet exercice de contrôle périodique permet d’apporter aux investisseurs, une assurance pérenne quant à une conformité continue du fonds à la Shari’a. Les auditeurs s’assureront que l’ensemble des règles édictées sont correctement appliquées et s’assureront également que les conditions générales de fonctionnement du fonds n’entraînent pas d’opérations collatérales susceptibles de remettre en cause la licéité du fonds (prêts/emprunts de titres, achats de couvertures en cours de vie du fonds, etc.)
– La purification des revenus « illicites » : cette purification revêt deux formes. La première est relative à la purification des revenus issus des actions ne respectant plus les ratios financiers ; elles devront être exclues du portefeuille et les revenus issus de la cession de ces titres seront considérés comme illicites et devront être reversés à une cause charitable. En France, ces sommes seront reversées à un organisme reconnu d’utilité publique (souvent une organisation caritative). La seconde forme de purification est quant à elle relative aux plus-values réalisées par le fonds au terme d’un exercice comptable. Une partie de ces plus-values devra également être reversée à un organisme reconnu d’utilité publique[3]. Les raisons de cette seconde forme de purification sont liées au fait que les juristes musulmans considèrent que malgré l’application des différents filtres (sectoriel et financiers), les revenus des sociétés éligibles demeureront malgré tout entachés d’un reliquat de produits « impurs » qui ne pourront être totalement neutralisés par l’application des filtres. Une purification symbolique mais obligatoire sera annuellement réalisée par le gérant du fonds[4]
Les fonds de placement Shariah Compliant semblent être promis à un radieux avenir[5]
Les structureurs qui, pendant la dernière décennie, ne semblaient avoir pour seul leitmotiv qu’un développement de leur offre par le biais de fonds actions, proposent désormais un panel de fonds basé sur des stratégies diversifiées et de plus en plus représentatives des spécificités islamiques (fonds Mourabaha, Sukuk, fonds immobiliers, fonds diversifiés, fonds de fonds, etc.).
Les récentes annonces émises sur la place de Paris ainsi que les diverses initiatives européennes et mondiales permettront, sans aucun doute, de promouvoir un développement soutenu de ce type d’instruments.
Enfin les dernières polémiques liées au lancement de Hedge funds islamiques[6] ou celles portant sur la remise en cause de la validité de certaines structurations dans le domaine des Sukuk[7] prouvent que l’exigence de conformité et la nécessaire moralisation des opérations demeureront les principaux cadres de cette nouvelle finance.
Une finance fondamentalement moralisée et socialement responsable !
Notes :
[1] Le montant de l’épargne disponible dans les pays du golfe persique et d’Asie du Sud-Est atteint 5.000 milliards de dollars. 10 % de la liquidité créée dans cette région correspond à de la finance islamique, 90 % à de la finance conventionnelle dont une bonne partie, à l’avenir, pourrait se transformer en finance islamique – Source : Compte-rendu des travaux du mercredi 14 mai 2008 – Première table ronde : l’intégration de la finance islamique dans le système financier global : quels enjeux pour la France ?
[2] L’encours des fonds Shari’a compliant est estimé à près de 250 milliards $ – Source : Reuters
[3] En France, l’Autorité des Marchés financiers (AMF) a reconnu aux fonds Shari’a, le droit de purifier la part impure de leur dividendes en faisant des donations au bénéfice d’organismes reconnus d’utilité publique (tel l’Institut du Monde Arabe), dans la limite de 10 % de leurs plus values – Note du 17 juillet 2007.
[4] La pratique la plus couramment observée par le gérant est celle d’une purification à hauteur de 5% du total des plus values
[5] Les avoirs de la clientèle bancaire musulmane sont estimés plus de 1000 Mds $ avec une demande de produits Shari’a peu satisfaite – Rapport Jouini et Pastré, décembre 2008
[6] Olivier Agha, www.arabianbusiness.com 17 April 2008
[7] Soraya Haquani, Divergences au sein des comités Shari’a, AGEFI, le 19/06/2008