En consultant l’intégralité des textes coraniques ayant trait à la question de l’usure, nous avons constaté que l’islam n’a pas interdit brusquement le ribâ. C’est plutôt l’approche progressive que le texte sacré a privilégié. Le but étant d’instaurer graduellement un certain rejet de l’usure par convictions éthiques avant de procéder à son institutionnalisation par le biais des règles juridiques.
Ce faisant, le sujet du ribâ a fait l’objet de quatre révélations coraniques avant que cette question ne soit définitivement tranchée par le célèbre passage de la sourate n°2, Versets n° 278-279. Rappelons brièvement les quatre révélations coraniques autour desquelles s’est articulé le processus d’interdiction du ribâ et toute pratique usuraire.
Le premier passage qui mentionne le ribâ est celui de la sourate n°30 : « Tout ce que vous donnerez comme ribâ pour augmenter vos biens au dépens des biens d’autrui ne les accroît pas auprès d’Allah »
Pour les jurisconsultes musulmans, ce texte de période mecquoise se contente d’un « ordre passif » sous forme d’avertissement. Il attire de ce fait l’attention sur un phénomène jugé incompatible avec l’esprit de la solidarité que prône l’islam. Ce verset va être ainsi l’amorçage du long processus de l’interdiction du ribâ.Néanmoins, il semble que jusqu’ici le législateur ne donne pas encore un ordre formel d’interdiction. Après la révélation de ce verset les transactions usuraires continuaient d’être vues comme des pratiques « autorisées » quoiqu’elles étaient considérées socialement et religieusement indésirables.
Le second texte, quant à lui, change de ton et de style verbal. Il met en exergue la pratique de certains, parmi les gens du Livre, qui prélevaient des sommes usuraires en dépit de son interdiction. En outre, il menace d’un châtiment douloureux les personnes s’étant adonnées à ce genre de pratique subiront un châtiment douloureux de la part de leur Dieu: « … et à cause de ce qu’ils prennent des intérêts usuraires – qui leur étaient pourtant interdits – et parce qu’ils mangent illégalement les biens des gens. A ceux d’entre eux qui sont dénégateurs, Nous avons préparé un châtiment douloureux Alors que ceux d’entre eux qui sont bien enracinés dans la science et les vrais fidèles croient en ce qui t’a été révélé et en ce qui a été révélé avant toi ……à ceux-là nous garantissons une énorme récompense » .
Ce verset date de la période médinoise. Certes, on peut facilement remarquer que le message prend ici sensiblement une autre tournure par rapport au texte précédent. Tout porte à croire que le Coran veut préparer les musulmans à une éventuelle interdiction de l’usure. Cela dit, nous pouvons dire que le ribâ n’est pas encore explicitement interdit de façon décisive pour les musulmans.
Dans le troisième texte, nous constatons que l’appel à l’abstention devient plus clair et plus direct : « Ô vous qui portez la Foi, Ne pratiquez pas l’usure en multipliant démesurément votre capital. Et craignez Dieu afin que vous réussissiez !… »
En se basant sur ce verset certains juristes égyptiens, notamment Abdelaziz Jawich et Rachid Rida, ont considéré que l’interdiction du ribâ ne concerne que le taux d’intérêt composé conduisant à la multiplication du capital prêté. Mais selon le juriste Sami Hammoud cette opinion a été aussitôt réfutée par la majorité des Ulémas car Car les derniers versets révélés dans le processus de l’interdiction du ribâ (sourate2/278) précisent que le préteur n’a pas le droit d’exiger plus que ce qu’il a donné sinon il doit accepter d’assumer une part de risque pour mériter une part du profit généré.
Ainsi nous pouvons dire que le texte de la sourate n°3 n’apporte pas une restriction de l’interdiction, mais plutôt une description de la réalité intrinsèque du ribâ qui conduit naturellement à la multiplication démesurée des biens quelque soit le volume du taux d’intérêt. C’est tout le système du ribâ qui est remis en cause en non un cas individuel et isolé.
Enfin, la dernière révélation relative au ribâ se trouve dans la sourate n° 2, du verset 275 à 279 : « Ceux qui se nourrissent de l’usure ne se tiennent que comme se tient celui que le toucher du diable le bouleverse. Cela, parce qu’ils disent : « le commerce est tout à fait identique au ribâ ».alors qu’Allah a rendu licite le commerce et illicite le ribâ. Celui, donc, qui cesse dès que lui est venue une exhortation de son seigneur, peut conserver ce qu’il a acquit auparavant ; et son sort dépend d’Allah. Et quiconque récidive…alors les voilà, les gens du Feu. Ils y demeureront éternellement). Dieu anéantira l’usure et fait fructifier les actes de bienfaisance. (L’aumône et la zakat). »
A la suite de cela, le Coran lance expressément un appel aux croyants afin qu’ils renoncent définitivement au ribâ. L’appel est sans ambages : « Ô vous qui croyez !… » : « Ô ! Vous qui avez cru craignez Allah et renoncez au reliquat du Riba si vous êtes vraiment croyants. et si vous ne le faites pas, alors recevez l’annonce d’une guerre de la part d’Allah et de Son messager, Et si vous vous repentez vous aurez vos capitaux, vous ne léserez personne, et vous ne serez pas lésés. »
S’appuyant sur ce dernier texte coranique, la majorité de juristes musulmans estiment que les frontières à ne pas dépasser ont été balisées, et que le moment est venu pour renoncer définitivement au ribâ. Il est dorénavant un moyen illicite d’acquisition ou d’accumulation de la richesse. Il est intéressant de noter que ces derniers versets marquent d’une part la fin de la législation du ribâ mais de surcroît la fin de la législation musulmane, voire la fin de la révélation. En ayant fait le choix de s’arrêter sur cette interdiction, le Coran met en évidence la gravité de cet interdit et l’inenvisageable possibilité d’une abrogation quelconque.
C’est ainsi que la haute commission chargée de l’interprétation du Coran (qui siège à Médine en Arabie Saoudite) affirme, en se référant à ce texte coranique, que ce n’est pas seulement l’usure qui est interdite, mais le moindre prêt à intérêt. Toute transaction à base d’intérêt usuraire (ex-ante) est défendue. En d’autres termes, tout gain à risque unilatéral. Par exemple, prêter de l’argent à un entrepreneur (commerçant ou industriel) et exiger un intérêt sans participer aux risques et à toutes les pertes éventuelles du débiteur serait du ribâ .
A l’issue de ce bref exposé, nous pouvons remarquer que le Coran condamne de façon explicite que le ribâ dit al-nasî’a. En d’autres termes, tout surplus pécuniaire en contrepartie de l’ajournement ainsi que le taux d’intérêt (ex-ante),. Cependant, la Sounna quant à elle, va mettre l’accent sur un autre type du ribâ. Il s’agit de ribâ al-fadl, qui aura pour vocation d’exiger une certaine équivalence dans les prestations d’échange.